Sur le problème des délais pour agir en matière de défiscalisation
De nombreuses victimes de la défiscalisation immobilière découvrent très tardivement qu’elles ont été induites en erreur par les conseillers qui les avaient persuadées d’investir dans une telle opération.
C’est très souvent à l’issue de la durée du dispositif de défiscalisation (qui intervient généralement plus de 9 années après la vente) que la victime découvre que son bien avait été surévalué et qu’il lui sera impossible de le revendre sans subir une très forte moins-value.
Or, le délai pour agir en justice étant désormais de 5 ans (qu’il s’agisse d’agir en nullité de l’opération pour dol ou en dommages et intérêts pour manquement au devoir de conseil) la victime découvre très souvent le piège qui lui a été tendu plus de 5 ans après s’être engagée dans cette opération.
Est-il pour autant trop tard pour agir ?
En cas d’action en justice, les promoteurs et défiscalisateurs seront à l’évidence tentés de faire échec à l’action de l’acquéreur en lui opposant la prescription.
Ils pourront notamment soutenir que l’acquéreur pouvait parfaitement vérifier les prix du marché immobilier dès le jour de son achat (voire même avant), de sorte que le délai pour agir de 5 ans devrait démarrer dès le jour de la vente.
Cette solution a été retenue par plusieurs juridictions.
Tel n’est pourtant pas la solution retenue par la Cour de cassation dans 4 arrêts récents.
La Cour de cassation a rendu récemment 4 décisions particulièrement favorables à la victime.
La première de ces décisions, rendue le 15 juin 2022, concerne le délai pour agir sur le fondement du dol.
La Cour de cassation annule en ces termes la décision rendue par une Cour d’appel avait fait démarrer le délai pour agir au jour de la signature du contrat de vente immobilière :
« Pour déclarer l’action engagée par M. et Mme [Y] prescrite et les déclarer irrecevables en leur demande fondée sur le dol, l’arrêt retient que c’est en vain qu’ils soutiennent que le point de départ de la prescription quinquennale est le jour où ils ont découvert le caractère excessif du prix de vente, soit le 25 mars 2015, alors que, si le prix de vente était déterminant pour eux, ils disposaient d’un délai de cinq ans à compter de la vente pour faire estimer leur bien, délai augmenté de neuf mois à compter de la réservation.
En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si M. et Mme [Y] n’avaient pas découvert l’erreur sur le prix de vente lors de l’estimation effectuée à leur demande le 25 mars 2015, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
La Cour de cassation rappelle ainsi que le point de départ du délai pour agir sur le fondement du dol est la date de la découverte du dol (et non la date du contrat) et qu’il appartient en conséquence aux juges d’examiner si la victime n’aurait pas découvert la surévaluation du bien qu’au moment où ils l’ont fait estimer (et donc au moment de le revendre à l’issue de la période de mise en location prévue par le dispositif de défiscalisation).
Les trois autres décisions ont été rendues le 26 octobre 2022 et concernent le point de départ du délai pour agir en dommages et intérêts sur le fondement du devoir de conseil.
La Cour de cassation annule en ces termes trois arrêts rendus par une Cour d’appel qui avait déclaré prescrites les actions de trois investisseurs immobiliers :
« En statuant ainsi, alors que, s’agissant d’un investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour l’acquéreur ne peut résulter que de faits susceptibles de lui révéler l’impossibilité d’obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
Ces quatre décisions sont très importantes, puisqu’elles proviennent de la Cour de cassation, placée au sommet de notre organisation judiciaire.
Le fait que dans ces quatre affaires, la Cour de cassation ait cassé chacune des décisions d’appel qui lui étaient soumises montre que le débat sur la prescription est particulièrement vif.
Ces décisions montrent qu’il y a toujours espoir, même lorsque la victime a mis de nombreuses années à prendre conscience de ses pertes.
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